Géométrie variable

Cher·e·s tou·te·s,

Le printemps est là, les oiseaux chantent — et je prends enfin le temps de rassembler les dizaines de notes éparpillées sur mon ordinateur pour vous écrire. Chaque jour, j’oscille entre deux élans :

  • L’envie de structurer mon travail, de penser stratégie, de “me self-brander”, de m’exposer davantage sur les réseaux ;

  • Et celle, plus viscérale, de me couper de tout cela pour mettre toute mon énergie dans la pratique.

Mais nous ne sommes plus au XIXe siècle, et je ne suis pas une peintre romantique recluse dans son grenier. Il faut bien composer avec le marché — même si cela me fait grincer des dents. Heureusement, ces derniers mois ont été fertile.

Depuis la dernière fois que je vous ai écrit, j’ai trouvé un bel atelier, repris une routine de travail, et transféré mon entreprise en Belgique (où j’ai découvert, avec effroi — et quelques larmes de sang — les subtilités de la fiscalité locale). J’avais peur que ce déménagement freine mon élan. Finalement, il l’a nourri. Les commandes s’enchaînent :  variées et portées par de belles rencontres. Je construis, peu à peu, une grammaire visuelle du sensible — entre image, objet et narration. À travers la peinture, l’édition, l’installation ou le jeu, je cherche à relier ce qui est souvent séparé : l’art et le quotidien, l’individuel et le collectif, le visible et le ressenti.


Dans ce nouvel élan, il a fallu faire de la place. J’ai voulu tout vivre, tout apprendre, pour nourrir ma pratique, pour fuir l’ennui. J’ai exploré des territoires larges et imprévus — de la peinture, au tatouage, au design de bijoux, de textile, de la photo et même un studio de création, — mes dernières années ont été un immense terrain de jeu. Je me suis beaucoup, beaucoup amusée.

Certaines pratiques que j’aimais ont glissé doucement hors de mon quotidien. Non par désamour, mais faute de temps, d’énergie, ou simplement parce que les priorités évoluent. Il y a parfois un petit deuil à faire : accepter de ne pas tout mener de front, sans remettre en cause la valeur de ce que l’on crée. Je vous dis ça… et en parallèle, j’ai commencé la céramique, le tournage, plus précisément.

Ce qui devait être un hobby, un à-côté pour souffler, est devenu un axe à part entière. Évidemment, je n’ai pas résisté à l’envie de dessiner sur les objets que je crée. Oups… C’est une pratique lente, exigeante. Un excellent moyen de canaliser mon énergie et de travailler ma psychomotricité fine. Un excellent moyen de faire le vide en moi. Bref, je veux ralentir, mais je dis “oui” à tout ce qui me touche. Je cherche l’apaisement, et je me lance dans un nouveau médium chronophage.

Je peins toujours, par vagues. Quand le temps s’ouvre, quand les espaces entre les commandes le permettent. Ma pratique définit ses contours.

Dans Les Géants, ma série en cours, je travaille la tension des luttes humaines, mêlant corps, architectures et formes abstraites. Malgré la force des affrontements, chaque toile cherche aussi un équilibre, un espace pour la paix — fragile, incertaine, mais toujours possible. Cette série résonne profondément avec ce que je traverse en ce moment : des luttes intimes, des tensions créatives, mais aussi la recherche d’un équilibre fragile. Dans un monde instable, je cherche des formes pour dire la force, la résistance — et l’espoir, malgré tout. Écrire des poèmes dans un monde qui brûle : je ne sais pas si c’est utile. Mais je sais que c’est vital. J’ai beaucoup donné ces derniers mois. Alors je me réserve du temps pour continuer à peindre cet été.

Je termine cette lettre dans un train (pour changer), de retour de résidence à Dijon (je vous en reparle un peu plus bas). Être loin de chez moi, loin des ami·e·s, m’a poussée à écrire énormément, à réfléchir, à redessiner mes priorités.

Depuis quelques mois, je me recentre sur mes histoires, je tisse un univers plus sincère, plus personnel. Je choisis de me montrer vulnérable, dans l’espoir de créer de vrais liens humains. Parce que dans la confusion ambiante, je ressens plus que jamais le besoin de clarté, de douceur, d’honnêteté.

(J’avais tout un paragraphe sur l’état du monde et l’actualité, mais j’ai choisi de le supprimer. Je n’ai pas envie de faire ici l’inventaire du désastre. Prenez soin de vous, de celles et ceux que vous aimez, des personnes les plus fragiles. Je crois en la lutte. Je crois en la résilience.)


Pêle Mêle

Pêle-Mêle est un jeu de construction poétique: empiler, équilibrer, laisser tomber, recommencer. Des formes sans règle ni plan, taillées dans des chutes de chêne et bouleau, composent des totems instables, des architectures du quotidien, des sculptures accidentées. Chaque assemblage devient un récit fragile entre ordre et chaos. Ce mois de résidence au Tache Papier à Dijon marque un retour à une matière oubliée : le jeu de construction. Neuf ans après Bâtir l’abri, mon projet de diplôme à la HEAD—Genève, je renoue avec le volume et la pensée modulaire.

Travailler en trois dimensions m’a permis de boucler une boucle, de reconnecter avec une manière intuitive de penser : par emboîtement, pas à pas, hors des sentiers linéaires. Une allégorie de ma pensée en mouvement — construite, déconstruite, toujours en équilibre.

L’exposition est visible jusqu’au 17 mai, au Tache Papier, 27 Rue d'Ahuy, Dijon.


Les Echoes Quotidiens

Nouvel appartement + nouvel atelier = plus de place pour stocker… au grand désespoir de la personne qui partage ma vie. J’en profite pour me replonger dans la micro-édition et développer un travail plus personnel, plus libre. Nourrir ma mythologie personnelle d’un carnaval d’images qui lie mes envies symboliques à la poésie du quotidien.

Certaines de ces images sont disponibles sur ma boutique en ligne, mais aussi chez Les Amazones à Genève, Moirés et Grafik à Bruxelles. Et puis, il y a un lieu qui me tient particulièrement à cœur : Artazart, à Paris, a récemment accueilli ma série avec enthousiasme. C’est bien sûr une belle reconnaissance — haut lieu de la culture visuelle — mais aussi un endroit plus personnel : un de mes “plans rancards” préférés. J’y emmenais les gens pour parler livres, sonder leurs références graphiques… et tester leur patience face à mon enthousiasme un peu envahissant pour l’image imprimée. Rien de tel qu’un bon débat sur les techniques d’impression pour briser la glace — chacun·e son langage de séduction.


Ecole Chantin, Paris XIV

Dernièrement, j’ai troqué mes pinceaux miniatures pour des rouleaux géants, direction : une école maternelle du 14e arrondissement de Paris. Une fresque colorée pensée pour les tout-petits, réalisée avec la joyeuse équipe d’Hypermur, que j’avais rencontrée il y a quelques années au festival Constellations. Peindre dans une école, c’est un exercice très particulier : il faut composer avec l’architecture, la lumière… et les enfants qui s’arrêtent pour commenter chaque trait. J’apprends que si je peins des arbres rouges, c’est bien sûr parce qu’on est au coucher du soleil. CQFD. Mon cœur fond littéralement.

C’est un bonheur de revenir à ces formats monumentaux, de faire entrer mes formes dans le quotidien des autres, de raconter des histoires à même les murs. Et de retrouver, à travers les ateliers et les échanges, cette joie brute du dessin partagé.


 Note à moi-même

Vous écrire plus souvent. Cette note est ridiculement longue.

Je ris en relisant ce texte, tant le contraste entre ma “ligne éditoriale” entre ici et instagram diffère. Je me sens plus libre de vous parler ici. Je crois que j’ai du mal à me livrer sur une plateforme soumise à un régime de performance : likes, stats, algorithmes et autres joyeusetés.

Trop d’yeux, pas assez d’écoute. Merci infiniment pour votre confiance, votre présence, vos lectures silencieuses ou curieuses.

Le meilleur pour cet été qui arrive.

Coeur sur vous,

Bérénice

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Chapitre 3 - Bruxelles